Les Balkans : Cheval de Troie de la Chine vers l'Europe
Article du :

Au lendemain des élections présidentielles chinoises en 2013, le vainqueur Xi Jinping annonce dans un discours le projet des nouvelles routes de la soie. Avec une envergure commerciale et stratégique, ces nouvelles routes cherchent à relier économiquement la Chine à l’Europe, en intégrant les espaces d’Asie centrale par un vaste réseau de corridors routiers et ferroviaires. En échos avec les échanges commerciaux du XIIIème siècle autour de la soie, l’objectif principal de ce projet est aujourd’hui de dynamiser l’économie chinoise, et d’étendre la souveraineté commerciale et diplomatique du pays.
Seulement, loin d’y voir un avantage, l’Europe se sent menacée. Elle craint un « piège de la dette », la dégradation de la balance des échanges, et une concurrence accrue sur son propre sol dans les secteurs de l’énergie et du transport. L’Allemagne, l’Italie, et la Pologne tentent d’emblée d’y faire barrage en limitant les investissements chinois sur leur territoire.
Mais aujourd’hui, on ne peut que constater que les nouvelles routes de la soie - également appelées Belt and Road Initiative (BRI) - sont solidement implantées en Europe.
Alors, comment la Chine est-elle parvenue à déployer son projet dans une Europe réticente ?
Pour cela, il faut remonter au cœur des années 2010 où les investissements de l’Union européenne s’essoufflent. La crise de 2008 et le sauvetage de la dette grecque freinent la reprise économique en Europe de l’Ouest. L’image des pays balkaniques est également transformée, notamment sur les plans matériel et social. Néanmoins, les pays des Balkans profitent de ces crises pour se tourner vers les puissances économiques en émergence. L’optique de ce tournant est dès lors d’ouvrir les portes de leur économie aux investissements extérieurs, et de relancer au plus vite leur finance.
À ce moment, la Chine bénéficie d’une croissance stable et d’une importante épargne nationale, qui lui permettent de mobiliser des fonds considérables. Également à la recherche de lieux stratégiques pour asseoir son projet BRI et étendre son influence géopolitique, Xi Jinping perçoit alors la Serbie, la Bosnie Herzégovine, le Monténégro, l’Albanie, la Macédoine du Nord et le Kosovo comme son cheval de Troie vers l’Europe.
Ainsi, entame le président chinois de nouveaux échanges avec les pays balkaniques en vue d’investissements dans les infrastructures. Il profite des convergences idéologiques pour ouvrir le dialogue dans la région. À titre d’exemple, la Serbie, ancien membre de la Yougoslavie a été pendant longtemps sous l’influence de l’idéologie communiste. Si aujourd’hui, la Serbie est divisée entre le socialisme et le nationalisme, ce passé politique lui crée un point commun avec la Chine, toujours dotée d’un parti communiste. Cette convergence idéologique a directement été perçue comme une opportunité pour renforcer le dialogue lié aux investissements avec le président serbe Tomislav Nikolic, et nourrir le partenariat stratégique global que les deux pays avaient signé en 2009. Le président chinois voit notamment en la Serbie la possibilité d’ancrer le premier pilier des nouvelles routes de la soie en Europe.
En conséquence, à partir de 2013, se multiplient les investissements chinois dans les pays balkaniques. Pour les raisons énoncées précédemment, la Serbie en est le premier bénéficiaire avec plus de 20 milliards de dollars dont 10 milliards accordés aux infrastructures et voies ferroviaires. Puis vient la Grèce dont l’investissement phare a été réalisé en 2016 avec le rachat du port du Pirée pour 368 millions d’euros, la Bosnie-Herzégovine avec 6 milliards d’euros investis et enfin le Monténégro qui a reçu près de 3 milliards d’euros d’investissements afin de réaliser pas moins de 61 projets.
Si la coopération chinoise dans le cadre de la BRI s’eWectue principalement avec l’Europe centrale et Orientale, c’est bien l’Europe de l’Ouest que la Chine cherche à atteindre. Jeremy Garlick, professeur adjoint à l’université d’économie et de commerce de Prague, estime que la Chine utilise une pratique de « Divide et Impera » (diviser pour mieux régner) afin d’amoindrir l’influence de l’Union Européenne sur sa périphérie.
Néanmoins, les nouvelles routes de la soie vues par Pékin ne sont pas une ligne droite.
En effet, récemment, l’effondrement de la gare Novi Sad due à une mise en service prématurée, a suscité de vives réactions en Serbie. La population serbe s’est révoltée contre la légèreté des entreprises chinoises - China Railway International et China Communication Construction - en charge du projet. Elle les accuse notamment d’une corruption endémique et de travaux de rénovation bâclés, et souhaite voir le gouvernement réduire sa dépendance commerciale envers la Chine. Si l’Europe voit d’un mauvais œil ces agitations sociales sur sa zone, elle peut aussi y voir une prise de conscience locale propre à infléchir le calendrier de Xi Jinping.
Par ailleurs, la crise du Covid-19 a ravivé la réponse européenne sur les nouvelles routes de la soie chinoise qui doivent faire face à une nouvelle concurrence. En Décembre 2021, l’Union européenne a en eWet annoncé un projet « Global Gateway » doté de 300 milliards d’euros, appelé à soutenir les projets d’infrastructures de qualité dans les pays en développement, tout en respectant les normes sociales et environnementales « les plus élevées ».
La percée des nouvelles routes de la soie dans les Balkans illustre dès lors la stratégie chinoise pour s’ancrer en Europe. Pékin a su exploiter les vulnérabilités économiques de la région, en oWrant des fonds conséquents sans les contraintes démocratiques imposées par Bruxelles. Les Balkans, et particulièrement la Serbie, sont devenus des points d’entrée stratégiques pour le projet chinois malgré des critiques locales liées à des projets défaillants, des accusations de corruption et une dépendance accrue à la Chine. Ainsi, la rivalité entre Pékin et Bruxelles pour le contrôle de cette région stratégique reste plus que jamais ouverte.
Article de : Garance Diaz
Article de : Théo Lahille
Créez votre propre site internet avec Webador